Le CHP (Parti Républicain du Peuple), le parti pro-séculaire, social-démocrate et en faveur de l’Union européenne est le plus grand parti de l’opposition en Turquie. Le CHP a organisé son 37eme congrès le week-end dernier à Ankara. Le chef du CHP, Kemal Kılıçdaroğlu (71 ans) a eu une victoire facile au congrès. Par contre, les autres candidats (Tolga Yarman, İlhan Cihaner et Aytuğ Atıcı) n’ont pas même eu des signatures suffisants (des délégués) pour contester contre Kılıçdaroğlu. Cela a permis de voir le pouvoir de Kılıçdaroğlu dans son parti. En plus, le parti a adopté un nouveau document stratégique, « L’Appel pour la Deuxième Siècle » (İkinci Yüzyıla Çağrı Beyannamesi) pendant le congrès. Dans cet article, je vais essayer d’interpréter les messages politiques de 37eme congrès du CHP.
Le premier point d’analyse est naturellement la domination de Kılıçdaroğlu dans son parti. Le chef actuel et septième du CHP[1] est maintenant le quatrième chef emphytéotique du parti après İsmet İnönü, Deniz Baykal et Mustafa Kemal Atatürk. Kılıçdaroğlu dirige le CHP depuis 2010 et il a réussi d’augmenter les votes de son parti dans ces dix dernières années. En 2019, le CHP a gagné les trois plus grandes villes en Turquie (Istanbul, Ankara et Izmir) avec 30,07 % des voix dans les élections municipales. Alors on peut dire que Kemal Kılıçdaroğlu n’est pas un chef sans succès ; mais en même temps, le chef de l’AKP (Parti de la justice et du développement) et le Président Recep Tayyip Erdoğan continue à dominer le système politique du pays depuis 2003. Comme le CHP a été créé avant la fondation de la Turquie en 1923 par Mustafa Kemal Atatürk (le fondateur de la Turquie et un grand héros national), d’être le deuxième parti n’est pas suffisant. Alors on pourra dire que c’est un succès limité pour un parti prétentieux.
Deuxièmement, les quatre sous-chefs de Kılıçdaroğlu ; Ünal Çeviköz, Yıldırım Kaya, Tuncay Özkan et Aykut Erdoğdu n’ont pas été élus par les délégués à l'assemblée parlementaire. Çeviköz, Kaya et Özkan n’ont pas eu des votes suffisants et Erdoğdu a perdu sa place à cause du quota de sexe. Par contre, les jeunes politiciens comme Yunus Emre et Gürsel Erol ont été choisi par les délégués avec des votes en surnombre ; pour moi une indication des délégués qui veulent canaliser Kılıçdaroğlu à rajeunir son parti.
Troisièmement, au congrès, le parti a adopté un nouveau document stratégique qui s’appelle, « L’Appel pour le Deuxième Siècle » (İkinci Yüzyıla Çağrı Beyannamesi) qui est composé de 13 articles :[2]
- Une nouvelle constitution sera préparée par le parti pour reconstruire un système parlementaire fortifié.
- La paix sociale sera assurée par le parti avec une solution politique au problème kurde, l’égalité entre les hommes et les femmes et la lutte contre les organisations terroristes et criminelles.
- Un système de mérite va être appliqué dans la bureaucratie et les affaires d’état.
- La loi électorale (Seçim Yasası) sera changée pour donner aux citoyens la possibilité de choisir leurs députés directement. En plus, le quota de sexe sera obligatoire pour tous les partis politiques.
- La loi de morale politique (Siyasi Ahlak Yasası) va être légiférée pour empêcher la corruption.
- La loi pour l’adjudication publique (Kamu İhale Kanunu) va être révisée pour augmenter la compétition et la transparence.
- La cour des comptes (Sayıştay) sera fortifiée. D’autre part, le Conseil d’impôt national (Ulusal Vergi Konseyi) et la Commission de compte absolu (Kesin Hesap Komisyonu) (dans le parlement) sera instituées.
- Une nouvelle organisation de planification stratégique (Stratejik Planlama Teşkilatı) sera créée pour organiser les pas stratégiques de l’Etat.
- Le système d’éducation nationale sera remplacé par un nouveau système avec le but d’élever des générations démocratiques. En plus, le Conseil de l’enseignement supérieur (YÖK) sera supprimé.
- Le droit d’écosystème (Ekosistem Hakkı) va être présenté et le principe de « développement soutenable » ou de « développement durable » sera ajouté à la constitution.
- L’Assurance de l’appui familial (Aile Destek Sigortası) va être implémentée afin de créer un revenu fondamental pour chaque famille.
- Une nouvelle balance entre le centre (Ankara) et les gouvernements locaux sera arrangée pour augmenter la productivité.
- L’Organisation de la paix et de coopération pour le Moyen-Orient (Ortadoğu Barış ve İşbirliği Teşkilatı) sera établie par l’initiative de la Turquie avec la participation de la Syrie, l’Irak et l’Iran.
« L’Appel pour la Deuxième Siècle » est un manifeste important et historique. Mais des bons slogans comme « résoudre le problème kurde » ne sont pas des projets politiques concrètes. Le plus important est de trouver et annoncer les bonnes méthodes pour réaliser et aussi convaincre le peuple kurde. L’idée de l’Organisation de la paix et de coopération pour le Moyen-Orient est aussi très intéressante mais l’AKP avait aussi des idées similaires, pourtant, la Turquie a été poussé vers une guerre civile en Syrie depuis 2011.
Le support pour le système parlementaire et présidentiel en Turquie (juillet 2020)[3]
D’autre part, le CHP a une position politique claire pour le système politique nécessaire dans le pays. Le parti défend un système parlementaire fortifié. Ça peut être un avantage comme la grande majorité des turcs (60-61 %) d`une façon ou d`un autre soutient un système parlementaire selon les travaux de la compagnie de sondage « Istanbul Ekonomi Araştırma ». Au contraire, seulement 38.4 % des citoyens favorisent un système présidentiel. Mais ici le CHP doit être attentif à ne pas utiliser une rhétorique académique ; les détails techniques entre le système parlementaire et présidentiel peuvent être insignifiants pour les gens ordinaires qui ont des problèmes plus graves comme le chômage, l’inflation et le système politique autoritaire. Alors le parti peut critiquer le régime actuel de la Turquie sur la base d’un système autoritaire ou la prise des décisions se fait par une seule personne.
Le support pour les partis politiques en Turquie (juillet 2020)[4]
Les sondages actuels organisés par Istanbul Ekonomi Araştırma montrent que le CHP a seulement 18.6 % de voix pour le moment. L’AKP d’autre part est encore fort avec 36.3 % d’appui de peuple. Mais comme il y a encore 10-11 % des gens indécis, le parti peut atteindre 23-24 % des voix dans une élection. En plus, il y a beaucoup plus de partis politiques qui s’opposent au régime d’Erdoğan maintenant. Le parti nationaliste et pro-séculaire le Bon Parti (İYİ Parti) a 9.2 % de voix, le parti pro-kurde le HDP (le Parti démocratique des peuples) a 10.4 % de voix, le nouveau parti d’Ali Babacan ─ le Parti de la démocratie et du progrès (Demokrasi ve Atılım Partisi ou DEVA Partisi) a 2.4 % de voix et le nouveau parti d’Ahmet Davutoğlu ─ le Parti de Future (Gelecek Partisi) a 0.8 % de voix. Alors le bloc d’opposition peut facilement parvenir à 45-46 %. D’autre part, avec les votes du parti ultranationaliste ─ le MHP (le Parti d’action nationaliste (9.5 %) et les votes du parti islamiste ─ le Parti de Félicité (Saadet Partisi) (1 %), le Président Erdoğan et son parti peut parvenir à 47 %. La décision d’Erdoğan d’islamiser la basilique de Sainte-Sophie peut aussi attirer plus de votes dans la politique droitiste en Turquie (surtout les électeurs des partis d’Ahmet Davutoğlu et de Temel Karamollaoğlu ─ le leader du Parti de Félicité). Alors, le CHP doit choisir un candidat présidentiel sans défaut pour les prochaines élections présidentielle afin d’unifier les sociaux-démocrates, les kurdes, les nationalistes séculaires et les conservateurs qui s’opposent à Erdoğan.
Les politiciens plus populaires en Turquie (juillet 2020)[5]
Je pense que le candidat idéal pour le moment est Ekrem İmamoğlu, le nouveau maire d’Istanbul. İmamoğlu est le troisième politicien plus populaire dans le pays suivant Erdoğan et Süleyman Soylu. Alors les sondages montrent qu’il est le candidat ayant plus de chances. Mansur Yavaş, le nouveau maire d’Ankara peut aussi être un candidat fort pour le bloc d’opposition. Mais le background ultranationaliste de Yavaş (il vient de la tradition de MHP) peut être un problème pour les kurdes et les électeurs du CHP au noyau. Yavaş est le cinquième politicien plus populaire dans la Turquie suivant Erdoğan, Soylu, İmamoğlu et Devlet Bahçeli (le leader de MHP). Une autre possibilité est la candidature de Monsieur Kılıçdaroğlu lui-même en choisissant İmamoğlu, Yavaş ou Meral Akşener (le leader de Bon Parti) comme son vice-président. Dans le nouveau système politique de la Turquie, similaire au système politique en Etats-Unis, le vice-président est une personne importante comme il/elle a le pouvoir de remplacer le président et accomplir ses fonctions lors qu’il est absent.
Mansur Yavaş ou Ekrem İmamoğlu ?
Finalement, je dois dire que le 37eme congrès du CHP était plus vibrant et ému que les congres antérieurs. Surtout le nouveau document stratégique, « L’Appel pour la Deuxième Siècle » (İkinci Yüzyıla Çağrı Beyannamesi) a attiré l’attention du peuple et des médias. En plus, Monsieur Kılıçdaroğlu a été présenté comme un leader fort (ça peut être un avantage en Turquie). Mais je ne pense pas que ça va être suffisant pour remplacer le régime d’Erdoğan aux prochaines élections présidentielles, qui sont prévus pour 2023. Je pense que le succès du Président Recep Tayyip Erdoğan dans la vie politique en Turquie est un mystère politique que les politologues doivent travailler. C’est étonnant que Monsieur Erdoğan puisse encore protéger son pouvoir et son électorat malgré une économie avec des mauvaises conditions et surtout que la Turquie a beaucoup de problèmes diplomatiques avec les Etats-Unis, l’Union européenne, les pays d’Europe comme la France, la Grèce et ses pays voisins comme l’Arménie, la Syrie, l’Irak, l’Iran, la Russie et le Chypre. En plus, Erdoğan a montré son intelligence politique encore une fois en rachetant son projet de l’islamisation de la basilique Sainte-Sophie au congrès du CHP pour arrêter la promotion de son adversaire politique. Alors nous allons voir si ça sera la Turquie d’Atatürk ou la Turquie d’Erdoğan qui va remporter les prochaines élections présidentielles.
Dr. Ozan ÖRMECİ
[1] Les chefs précédents du CHP sont: Mustafa Kemal Atatürk (1923-1938), İsmet İnönü (1938-1972), Bülent Ecevit (1972-1980), Deniz Baykal (1992-1995, 1995-1999, 2000-2010), Hikmet Çetin (1995-1995) et Altan Öymen (1999-2000).
[2] https://www.gazeteruzgarli.com/chp-kurultayinin-sonuc-bildirgesi-kabul-edildi/.
[3] https://www.turkiyeraporu.com/turkiyenin-mevcut-yonetim-sistemine-kamuoyunun-bakisi.
[4] https://www.turkiyeraporu.com/sureklitakip.
[5] https://www.turkiyeraporu.com/sureklitakip.